Takata n’a pas (vraiment) menti : rebondissements historiques dans l’histoire officielle du Reiki ?

Pendant les trente dernières années, Hawayo Takata (24/12/1900-11/12/1980), celle par qui le Reiki est arrivé en occident, y a survécu et a finalement prospéré, n’a pas reçu que des louanges : certains l’ont accusé depuis la fin des années 1990 d’avoir menti sur l’histoire du Reiki, de l’avoir transformée pour en faire un “reiki dévié”, etc., de façon parfois très violente. En effet, c’est à cette époque que des recherches et découvertes historiques sont venues bouleverser ce que que l’on croyait savoir de l’histoire du Reiki (découverte de la stèle du cimetière de Saihōji, publication de documents internes de la Gakkai, etc.), mettant ainsi en porte-à-faux, l’histoire (devenue officielle) transmise par Takata. Certains en ont ainsi fait la “méchante”, un de mes amis arguant même de l’identité de nom avec celui d’un fabriquant d’airbag défectueux, ayant fait scandale, pour montrer à quel point on ne pouvait pas lui faire confiance (il se trouve toutefois que le nom en japonais de son fondateur est Takezo Takada, et non Takata, mais peu importe…) ! Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage.

Ce que l’on reproche usuellement à Takata…

En donnant des informations historiques sur le fondateur du Reiki, sur le Reiki au Japon, etc., le moins que l’on puisse dire est qu’avec Takata, il y a eu quelques “inexactitudes” historiques. Takata avait affirmé aux américains qu’Usui était un missionnaire chrétien, qu’il avait un doctorat en théologie, qu’il avait étudié à Chicago, qu’il avait été président de la prestigieuse université Dōshisha de Kyōto (l’une des plus vieilles universités privées du Japon, fondée sur le modèle anglo-américain pour promouvoir l’enseignement chrétien), qu’il avait été journaliste, etc. Autant de “faits” qui étaient très bons et arrangeants pour l’image auprès du public américain, mais qui semblaient assez incroyables… Mais la légende n’est-elle pas toujours un peu dorée ? Jusqu’à ce que des gens se mettent en tête de creuser et de vérifier !

C’est ce qui se passa dès le début des années 1990, où William Lee Rand prit contact avec l’Université Dōshisha pour avoir des informations sur le fondateur du Reiki qui nous est parvenu : Mikao Usui (臼井甕男, 15/08/1865 – 09/03/1926). Et là, mauvaise surprise, personne à l’Université n’avait jamais entendu parler d’Usui sensei. Un certain nombre d’autres faits n’ont pu non plus être confirmé et, après la découverte par Frank Arjava Petter de la stèle funéraire d’Usui sensei dans le cimetière de Saihōji à Tōkyō (datée de 1927), comportant une petite biographie de ce dernier (il aurait étudié en Chine, voyagé en occident, aimait lire les textes bouddhistes et chrétiens…), la coupe historique était pleine : l’histoire orale d’Usui sensei, telle que contée par Takata semblait avoir été largement fabriquée et le mobile semblait lui aussi évident ; Takata sensei avait dû prendre quelques petits libertés avec la vérité historique et mentir pour servir ses intérêts personnels en tant que pionnière du Reiki aux USA, et l’on imaginait très bien le bénéfice qu’elle pouvait tirer de faire croire que Mikao Usui était un missionnaire chrétien protestant : cela levait bien des barrières et des réticences dans la population locale. Ce fut le début d’un certain nombre de conflits plus ou moins violents entre la “lignée Takata” représentée par la l’Alliance Reiki et menée par Phyllis Furumoto (petite fille de Takata) et les différents investigateurs et chercheurs quant à l’histoire factuelle du Reiki, notamment Frank Arjava Petter. La charge émotionnelle négative fut grande pendant longtemps, la lignée Takata s’étant sentie franchement attaquée et agressée… jusqu’à ce que le temps passe et que Phyllis elle-même ne révise son point de vue sur le sujet et parvienne à une position plus modérée permettant d’aller vers une Reiki Conciliation, une “re(i)konciliation”.

La vérité historique n’était pas facile à accepter, surtout quand on avait cru de bonne foi les histoires racontée par la pionnière. Ainsi, le point de vue des académiques se cristallisera autour de la thèse de Stein (2017), concluant à la fabrication de l’histoire du Reiki par Takata. Mais ça, ce n’était qu’en 2017 !

Rebondissements historiques en 2023-25 : de nouvelles pièces versées au dossier !

C’est le principe même de l’Histoire, si de nouvelles archives viennent à être exhumées, de nouvelles théories et interprétations peuvent voir le jour. Le monde académique a l’habitude de ce genre de rebondissement, mais pas le grand public… et encore moins les Maître-Enseignant (ME) de Reiki qui, pour le dire sobrement, ne sont souvent pas du tout à la page avec l’état de la connaissance historique concernant le Reiki.

La première surprise vint en 2023, quand une ME australienne, Elizabeth Latham, fit dans son livre (The Samurai Reiki Master) une déclaration qui stupéfia tout le monde : le fondateur du Reiki n’était pas Mikao Usui, mais un certain Tokio Yokoi ! Et Mikao Usui n’aurait été que… son pseudonyme ! Vous imaginez bien les réactions d’incrédulité ou de complot qu’une telle affirmation a pu susciter, mais Latham avait bien levé un lièvre intéressant : le dénommé Yokoi, était bien missionnaire chrétien protestant, avait bien été Président pendant deux ans de l’Université Dōshisha (dont il était un ancien élève), avait bien étudié aux USA, etc. Autrement dit, l’histoire rocambolesque que Takata avait raconté n’était pas de pure fantaisie ; certains parvinrent ainsi à la conclusion que puisque Takata avait bien raconté l’histoire du fondateur, il y avait eu seulement erreur d’attribution (Jonker, 2024) : le fondateur du Reiki était en fait le très chrétien Tokio Yokoi… La thèse de Latham fut officiellement rejetée par Stein qui la trouvait assez improbable et surtout peu étayée, bien que la piste soit un peu troublante.

En juin 2025, Jojan Jonker, produira un papier de synthèse sur le sujet, venant étayer différents éléments en faveur d’une thèse allant dans ce sens. On peut lui reprocher de minimiser certains aspects de l’histoire connue de Mikao Usui, qui, compte tenu des éléments disponibles à ce jour reste pour moi indubitablement le fondateur du Reiki Usui. On ne ne peut toutefois pas évacuer la possible connexion, mise au jour par Jonker (2025), entre le référentiel spirituel de pensée de Yokoi et celui d’Usui, car les deux appartenaient à des mouvances chrétiennes mystiques proches, si ce n’est en réalité identique ! Le fait que Usui se soit intéressé au christianisme était connu dès la lecture des inscriptions de la stèle funéraire de Saihōji, mais rien ne prouvait alors qu’il s’était réellement impliqué personnellement dans la religion chrétienne… mais par une curieuse synchronicité, une autre pièce historique nouvelle venait d’être versée au dossier en avril 2025 !

Grâce au miracle de la numérisation des archives, d’obscures pièces administratives sont devenues accessibles et quelle ne fut pas la surprise des chercheurs sur l’histoire du Reiki, quand on découvrit à Taiwan un CV… de la main de Mikao Usui, daté de 1904 ! Cette pièce incroyable nous permettait enfin d’avoir une vision plus large du parcours d’Usui sensei jusqu’à cette date, dans le genre factuel qui sied aux CVs ! À nouveau, surprise : Mikao Usui a étudié la littérature chinoise classique, l’anglais, la psychologie et le droit ; il a bien été le fondateur et principal pendant trois années de deux établissements chrétiens d’éducation pour jeunes filles (établis par des missionnaires américains) dans la banlieue défavorisée de Tōkyō, ce qui implique qu’il devait a minima être baptisé. Il a passé 4 années à Taiwan en mission d’étude culturelle dans le cadre du gouvernement colonial japonais, s’est bien rendu aux USA à San Francisco, etc. Vous pourrez trouver plus d’information en visitant ce site.

Conclusion : Takata n’avait pas (vraiment) menti… Elle avait reçu des informations sur la vie d’Usui Sensei vers 1935, quand elle a étudié avec Hayashi sensei, donc quand elle a reçu une histoire de seconde main racontée une dizaine d’année après la mort du fondateur, ce qui peut expliquer le côté un peu parcellaire et fluctuant de l’histoire qu’elle racontait (selon une info relatée par Justin Stein, un des élèves ME de Takata, Shinobu Saito, disait qu’il ne l’avait jamais entendu raconter deux fois la même histoire…). Entre les tours que joue la mémoire, l’imagination spontanée et les besoins rhétoriques, l’histoire contée par Takata se révèle au final assez proche de la réalité, si ce n’est pour certains éléments qui semblent concerner moins Mikao Usui que Tokio Yokoi, deux hommes qui ont pu être proches dans la vie réelle, et l’ont indéniablement été dans leurs chemins spirituels. Ainsi, soyons humble et dans l’ouverture du Coeur : admettons qu’une mauvais réputation plutôt indue a été faite à Takata pendant des années, alors qu’elle n’a pas (vraiment) menti ; il convient donc pour tout esprit honnête de la réhabiliter en grande partie. Merci Takata sensei, et qu’importe les approximations historiques et les éventuels petits changements faits au Reiki Usui : sans vous, le Reiki Usui serait sans doute resté confidentiel et le monde n’en aurai jamais profité ! À nous de continuer à peaufiner l’histoire factuelle du Reiki et de répandre l’Amour pour la guérison spirituelle de toutes celles et ceux qui le souhaitent.