La zététique s’est présentée historiquement comme “champion de la Science” sous la forme d’un chevalier blanc pourfendeur de la Pseudoscience. Si l’on considère que la Pseudoscience est fausse, il s’agit donc de lutter contre la Fausseté, ce qui ne fait jamais de mal à l’esprit et ce contre quoi personne ne trouverait à redire. Le seul problème, c’est quand on ne fait en réalité pas que ça… tout en croyant (ou en faisant semblant) que l’on ne fait que ça. Nous proposons ici un peu de réflexivité à ceux qui se réclament de la zététique, en général sans connaître vraiment ni les fondements philosophiques de la zététique, ni l’épistémologie, ni les sciences sociales, mais dont leurs comportements relèvent pourtant, puisqu’il s’agit d’agir sur le collectif, en l’influençant dans un sens spécifique… mais est-il vraiment bon ? Le véritable bon sens, c’est le vôtre… et ça se travaille ! La zététique prétend vous y aider. Après tout, qui voudrait rester crédule ? L’un des aspects de la zététique consiste à démystifier les idées reçues et les croyances fausses, autrement dit de contribuer à un travail scientifique sérieux. Dans quelle mesure y parvient-elle historiquement ?
Soutenue publiquement par deux prix Nobel de physique français dans ses années de fondation (de Gennes et Charpak, tous deux collègues à l’ESPCI Paris depuis une dizaine d’années à cette époque), la zététique ne reçoit pourtant, au final, qu’un maigre soutien du reste du monde académique, celui qui produit justement la science au quotidien, ce qui peut sembler surprenant. L’enseignement de cet “art du doute” (à vocation scientifique), propagé sous la tutelle de son fondateur, Henri Broch, à l’Université de Nice y durera de 1993 à 2019 (quelques années après le départ à la retraite de ce dernier), mais ne se retrouvera que de façon sporadique ailleurs, nouveau fait étrange. Y aurait-il donc de bonnes raisons de douter de la “zététique” et d’arrêter finalement de la soutenir institutionnellement ?
Selon les mots de Broch rapportés par wikipedia : “ce n’est donc pas une science, mais plutôt une démarche philosophique et pratique“. Cette assertion “modeste” cadre en effet mal avec la prétention ambitieuse à dire la Vérité, qui va avec la détermination de ce qui est une Science et de ce qui n’en est pas… ce qui est du ressort d’une discipline bien connue de la philosophie des sciences : l’épistémologie. De façon rétrospectivement comique, le terme zététique sera utilisé en anglais dès 1849 dans Zetetic Astronomy, titre d’un ouvrage de Samuel Rowbotham, partisan de la théorie de la terre plate. Notons simplement le terme “partisan” qui est le fondement réel des doutes raisonnés et raisonnables que l’on peut émettre vis-à-vis du courant de la zététique, à prétention scientifique (en réalité à prétention épistémologique)… mais pouvant facilement l’outrepasser. Les anglo-américains lui préfèrent d’ailleurs le terme “sceptique“, ce qui clarifie son positionnement réel.
La Zététique : démarche critique ou pétition de principe sceptique ?
Zététique, c’est du coup d’abord une étiquette sociale, que l’on va mettre sur des pratiques liées à un doute sceptique, normalement à vocation épistémologique. Malheureusement, ce n’est pas l’étiquette qui détermine le contenu de la bouteille, même si (si l’on est honnête) il devrait y avoir un lien assez fort entre les deux… à condition que l’objectif de l’étiquette soit d’être informatif, plutôt que décoratif ou marketing : dire que l’on fait une vidéo zététique ou que l’on est “zététicien”, ça peut en effet faire vendre, si l’on s’adresse à la bonne communauté. Du coup, il est plus raisonnable de ne pas tenir la zététique pour acquise (et notamment les vertus de sa pratique) et de rétablir un peu de pensée chez “ceux qui ne doutent de rien”… y compris de la zététique !
Définir la “zététique” : une discipline, un objet, un courant ?
Selon Wikipedia, la zététique est “l’étude rationnelle des phénomènes présentés comme paranormaux, des pseudosciences et des thérapies étranges“, bref normalement de tout ce qui sort de la connaissance scientifique actuelle ; autrement dit, de tout ce qui n’est pas avéré par la science de ce jour : un domaine encore fort large ! La zététique se définit alors comme une discipline et notamment une discipline de pensée, voire une forme d’hygiène de la pensée, comme disent certains, une hygiène normalement caractérisée par la démarche épistémologique. Pourtant la zététique n’est guère une discipline académique : il n’y a pas de “recherche en zététique”, de section CNU zététique, ni de publication dans un champs scientifique que l’on appellerait zététique ; en tant que “discipline de pensée” elle offre une perspective spécifique.
La discipline se caractériserait-elle par un objet émergent, mal compris à l’heure actuelle ? C’est ce que semble dire la deuxième partie de la définition de la zététique, qui comporte toutefois trois traces d’énonciation : phénomènes présentés comme paranormaux (mais c’est vraisemblablement juste un effet de présentation, avec soit erreur, soit tromperie présumée, ce qui constitue une présomption a priori, donc un préjugé), des pseudosciences (mais ça n’en sont pas en réalité et ça sent la charlatanerie, ce qui constitue à nouveau une présomption et de culpabilité, donc encore un préjugé), des thérapies étranges (qui restent étrangères à ceux qui ne les comprennent pas, mais qui veut sans doute surtout dire douteuses, si ce n’est dangereuses, ce qui serait encore une fois un préjugé, sauf à disposer de données réelles et sérieuses qui permettraient de faire pencher la balance du jugement). Autrement dit, on parle de choses dont on pense a minima qu’elles sont franchement douteuses (et sans doute même parfaitement fausses, voire dangereuse). La zététique se définirait donc plutôt par son objet, qui ne serait en réalité que des croyances douteuses, ce qui signifie que son objet réel tombe également dans le champs des sciences sociales où l’on étudie depuis longtemps les croyances douteuses (voir, par exemple, les travaux de Raymond Boudon ou de Gérald Bronner en sociologie), et non dans les sciences dites “dures”, qui ne viendront que ponctuellement apporter un argument technique au débat (mais potentiellement décisif s’il est issu de leur domaine de spécialité). Première surprise, les gens qui se réclament de la zététique n’ont en général aucune connaissance ou presque en sciences sociales… Donc soit le projet n’est pas “l’étude rationnelle”, soit l’objet est autre que les “croyances douteuses”. Spoiler : l’objet auquel s’attaque cette “discipline de pensée” est bien les croyances douteuses ; il est dommage que l’idéologie soit elle-même une forme de pensée disciplinée…
Il nous faut donc questionner un peu plus finement le projet de la zététique de Broch, projet qui semble pourtant rationnel : le développement de l’esprit critique “qui s’use quand on ne s’en sert pas“, comme le dit Monvoisin (son principal diffuseur actuel, personnage public dont on parlera tout au long de cet article), semble ainsi toujours une bonne chose… à condition qu’il ne se transforme pas subrepticement en “esprit de critique”, c’est-à-dire en une forme de pathologie mentale consistant à critiquer tout, d’abord, par principe, plutôt que lorsque la raison l’exige vraiment. On change alors de perspective pour s’attacher non plus à la pseudo-définition normative vue précédemment (la discipline), mais plutôt à la pratique réelle que recouvre le terme “zététique”, vue au travers des actions de ceux qui s’en réclament : puisque le projet ne semble pas complètement cohérent avec les faits, on se doit donc rationnellement de prendre la zététique pour objet, analysable par les sciences sociales et par l’épistémologie. Il nous faut alors observer les comportements de ses fondateurs, promoteurs et affiliés, qui peuvent être en décalage avec la Discipline théorique. C’est l’étude de l’objet “zététique” qui nous permettra de nous faire une idée de ce qu’il est empiriquement dans les faits et que nous nommons, par avance, un courant de pensée et de pratiques, centré autour de la critique et de la dénonciation de croyances (pré)jugées douteuses. Bien entendu, ce n’est pas parce que l’on dénonce rationnellement plusieurs choses avec raison que toutes les choses que l’on dénoncent le sont pour des raisons rationnelles (ce serait, le cas échéant un effet de contagion dû à l’image et au discours, mais non aux faits).
Là où l’esprit critique se trouve dans une démarche de tri impartial dans les croyances afin de fiabiliser la pensée dans ce qui est avéré et de façon constructive, l’esprit de critique est là pour se payer les croyances qu’il n’aime pas, dénigrer et persécuter de façon destructive ce qui n’est pas à son goût, et ce indépendamment du fait que ce qui y est dit soit vrai ou faux, bien que fût pourtant le point de départ théorique. Cette tendance pionnière est parfaitement visible dans trois ouvrages, publiés chez Odile Jacob dans les années 2000, les années fastes pour le boom médiatique de la zététique.
Quand les publications ne sont pas scientifiques, mais d’un autre genre…
Citons le livre publié en 2002 par Georges Charpak et Henri Broch, Devenez sorciers, devenez savants qui est tout à la fois un essai de vulgarisation scientifique (transmission didactique de la démarche critique), mais aussi un pamphlet (pétition de principe) contenant des avis politiques, d’apparence techniques, parfaitement tranchés, et donnant l’impression qu’ils le sont “au nom de la science” : ainsi les OGM sont vantés et les anti-nucléaires sont fustigés… Bien entendu, tout le monde a le droit d’avoir son opinion, mais d’un point de vue scientifique, on se fiche complètement d’être “pour” ou “contre”, on se fiche des opinions même des experts, tant que l’on n’a pas de démonstration logique. La logique scientifique n’est pas partisane, ce qui explique d’ailleurs le périlleux mélange des genres avec la politique, que le scientifique naïf ne repère pas nécessairement tout de suite, s’il n’a pas une certaine vigilance épistémologique. Si l’on prétend faire oeuvre épistémologique, on se doit de le faire parfaitement sérieusement… et c’est long d’argument proprement, plutôt que de céder à la tentation d’une rhétorique plus courte et facile.
Il sera suivi en 2004 par un autre ouvrage de Charpak et Omnès (lui aussi physicien, spécialiste de la mécanique quantique et de sa mathématisation), Soyez savants, devenez prophètes, où le projet politique, si ce n’est désormais religieux, de Charpak se précise : “Nous avons voulu, dans ce livre, nous comporter en guides afin de permettre à chacun d’entre nous de jeter un regard sur le spectacle des lois qui président à l’architecture du monde. Parce que nous voulons faire partager ce sentiment, si proche du sacré, nous nous sommes retrouvés sur les terres de la philosophie et de la religion. Un autre ordre du monde ne peut venir que d’une sagesse où la science, ou plutôt ce qu’elle révèle, trouve sa véritable place. Rien n’est plus important que de donner aux jeunes l’éducation dont ils ont besoin, qui fera d’eux des hommes et des femmes libres, capables de comprendre l’Univers qui les entoure et sa signification. Il le faut, d’urgence, avant que des gourous, des marchands, des adorateurs de légendes ou des illuminés aient le temps de s’emparer d’eux. Qu’ils aient des savants le vrai savoir et des prophètes la lucidité et l’action éclairée“. C’est la foi en la science, notamment physique et mathématique, qui devrait donc selon eux guider le monde dans son entièreté : ceci est bel et bien un projet idéologique que la science elle-même ne peut étayer rationnellement, puisqu’un tel projet se fonde sur des prémisses (croyances tenues pour vrai, par principe), qui ne sont pas discutés, voire qui ne peuvent pas être discutées ; tout comme la croyance implicite en la faiblesse intrinsèque des esprits dont il serait si facile de s’emparer si l’on est gourou, marchand ou illuminé ! Réciproquement, l’État et la Science aurait donc un mal inexplicable et inexpliqué à “s’emparer de ces faibles esprits fragiles” : on crie au loup, en présupposant le risque (ce qui constitue l’argument principal de fait), sans le démontrer aucunement (autrement dit, sans force réellement probante), ce qui fait que l’on assène de façon très sérieuse et apparemment “autorisé”. Attention, comprenez bien que d’un point de vue scientifique, on ne peut prendre parti et que, selon l’expression de Lecanuet relayée par Coluche : “je ne suis ni pour, ni contre, bien au contraire“… L’humour n’est-il pas le meilleur remède à ceux qui se prennent trop au sérieux, présumant de leur propre importance pour la société, avec un regard souvent pessimiste et sombre, si ce n’est apocalyptique ? Les marchands de peur sont souvent les inoculateurs d’une idéologie dont ils seront les bénéficiaires… un principe qui déborde très largement notre questionnement réflexif et épistémologique sur la zététique, comprise comme un courant de pensée sceptique.
De son côté, Broch publiera en 2006 un dernier ouvrage : Gourous, Sorciers et Savants, dont voici un extrait du quatrième de couverture : “Êtes-vous doués de « pouvoirs » ? Ce livre vous montre comment y parvenir. Ce qui revient à déjouer les charlatans et marchands d’illusion qui cherchent à vous berner pour abuser de votre crédulité. Ainsi fait-on grand bruit autour du saint suaire de Turin ou du sang miraculeux de saint Janvier. Ce livre vous donne une recette, parmi d’autres, pour accomplir vous aussi ces miracles. Soyez miraculeux ! Contre l’autorité sectaire des gourous, il défend la pensée scientifique en vous amusant“. Le ton est clair : tout ce qui sort de la science établie à ce jour ne peut-être que charlatanerie destinée à vous berner (en plus, c’est de votre faute parce que vous êtes crédule)… et dont le mobile sous-jacent mais non explicité par l’auteur est de vous soutirez des sous (d’ailleurs, pour le comprendre, achetez son livre…), par exemple pour comprendre le phénomène du “sang miraculeux de Saint-Janvier”, qui aurait grand bruit… mais que le grand public ne connaît guère (qu’au travers des publications de Broch et de ses suivants). Le but est donc de s’en amuser, ce qui va usuellement signifier “tourner en ridicule“, si l’on est un humoriste, ce que la personne rayée pourra sainement prendre avec dérision ; toutefois, si le projet est politique, il s’agira au contraire de ridiculiser, c’est-à-dire de détruire la réputation de la personne, de la thérapie, de la discipline, un projet nettement plus agressif et qui est celui que retiendront les militants, au contraire de ceux qui ont une approche seulement didactique de la zététique (ce ne sont guère les plus visibles).
Quand l’attitude vire de la didactique au militantisme, avec un risque scientiste congénital
“La zététique a pour objet de montrer que les phénomènes surnaturels sont tout à fait naturels…“
https://shs.cairn.info/histoire-et-philosophie-des-sciences–9782361060398-page-269?lang=fr
Le projet réel de Broch semble alors être finalement de prouver que le paranormal n’existe pas (il se réduirait en réalité au “normal”)… ce qui n’est pas du tout la même chose que son programme affiché : “enseigner la méthodologie scientifique à travers l’étude des phénomènes paranormaux“, c’est-à-dire faire de la didactique des sciences (sans d’ailleurs justifier pourquoi les phénomène paranormaux seraient une meilleure façon d’enseigner la méthodologie scientifique… issue des sciences physiques alors qu’il s’agit d’objets, des croyances, ayant une forte composante sociale). Le problème d’une telle démarche est qu’elle repose d’abord sur une volonté de vérifier une croyance (le paranormal n’existe pas), plutôt que sur la démarche critique normale en science : voir si l’on est capable de prouver ou de réfuter que le paranormal existe, la base de l’épistémologie depuis Popper ; la vérification ne nous apprend en réalité rien du tout (un n-ième cygne blanc exhibé ne suffira jamais à prouver que tous les cygnes sont blancs, car il suffit de l’existence attestée d’un seul cygne noir…). On est complètement sorti du registre de la didactique des sciences consistant (seulement) à enseigner la méthodologie scientifique… on risque de rapidement glisser vers l’instillation de la croyance qu’il faut appliquer les méthodes des sciences physiques tout le temps et partout, à n’importe quel objet, ce qui n’est rien d’autres que la base classique du scientisme réductionniste ; certains zététiciens croient d’ailleurs mordicus, pour cette raison, que seules les études randomisées en double aveugle sont acceptables (et donc nécessaires) dans le domaine médical, ce qui est épistémologiquement faux (la connaissance médicale ne s’est constitué que récemment sur cette base et avec des biais que l’on ne cesse de découvrir…). Enfin, si l’on pose par principe que tout a une base purement matérielle, on s’interdit donc de fait de découvrir quoi que ce soit qui n’en aurait pas, exclu qu’il est par cette pétition de principe : c’est ce que l’on nomme une croyance limitante. Toutefois, il est bon de rappeler que toutes les croyances ne se valent pas : certaines sont vraies, d’autres ne le sont que partiellement, d’autres encore sont fausses et certaines sont même indécidables en fonction de l’état de nos connaissances.
Si la démarche zététique place subrepticement comme acquis (bien discutable) la Croyance en le primat en toutes choses de la Science (dont le modèle du genre serait en réalité les sciences physiques), elle n’est alors au fond qu’un n-ième ferment du scientisme, sans doute bien intentionné sur le fond et naïf épistémologiquement, mais incarnant une croyance excessive en la science et son domaine de juridiction et dénoncée par de nombreux scientifiques… justement parce que certains de leurs collègues vont trop loin, dépassent les limites acceptables de la science, pour en faire autre chose, tout en usurpant le nom de la science : en faisant passer de la non science (une forme d’idéologie de type politique, religieuse ou technique) comme de la science (pour éviter d’avoir à justifier des fondements de cette idéologie à prétention normative). Il y a ainsi de bonnes raisons de douter de la zététique si elle nous pousse à former des biais de jugement. Être capable de rester authentiquement critique scientifiquement sur des affaires et scandales qui arrivent régulièrement comme le Vioxx, le Médiator et bien d’autres n’est pas chose facile, notamment avec l’influence des médias, eux-mêmes aux mains en France d’un très petit nombre de personnes proches du pouvoir. Une zététique authentique devrait pourtant y contribuer et non entretenir le statut quo sur ce sujet… mais pour cela, ce ne sont pas les sciences physiques qu’il faudra mobiliser mais bien les sciences sociales.
Au final, le projet sous-jacent à la zététique s’avère donc bien être politique : un combat, avec des ennemis tous désignés et que l’on va démasquer ! Mais en général, on inverse rhétoriquement la perspective (on fait juste de l’hygiène mentale) et Richard Monvoisin, qui donne un cours de zététique à l’Université de Grenoble (disponible ici sur Youtube), l’associe à l’expression “auto-défense intellectuelle” (un terme qu’il emprunte à Noam Chomsky, en lien avec la résistance à la propagande) ; on y notera aussi les effets de manche audio et vidéo du “teaser” présenté en tout début d’article, mettant en exergue “l’héroïsme”, toujours valorisant pour l’Ego, mais on soulignera aussi que le contenu du cours de 24h disponible sur Youtube est beaucoup plus sérieux que le teaser. Toutefois, le terme d’auto-défense laisse entendre que l’on va se faire agresser (charlatans, gourous, sectes et autres phénomènes extrêmes) et il va falloir se défendre (bah oui, on a posé au départ que l’on était le “camp des gentils”, de façon idéologique, alors que cette question éthique ne peut se trancher qu’en regardant l’impact des actions de tous les “zététiciens”, ces ancêtres des “fact checkers” de 2020 qui ont souvent surtout un rôle d’influenceur) ; et on ne dit pas un instant que l’on va aller faire du terrorisme intellectuel sur des cibles faciles… (là on ne serait plus vraiment des gentils, mais simplement des prédateurs sans scrupules, c’est-à-dire éthiquement pas très différent de ceux que l’on avait dit qu’on allait combattre). Politiquement, ça ferait vraiment tâche.
Oui, mais ces “cibles faciles” sont en réalité des charlatans, parce qu’elles pratiquent des choses qui ne sont pas avérées scientifiquement ! Quel beau sophisme… Si ces cibles vous ont effectivement dit que leur discipline était prouvée scientifiquement, vous pouvez effectivement dénoncer avec raison ce mensonge ; mais, s’ils ne cherchent pas faire croire une telle chose, qu’ils ont des pratiques que vous ne comprenez pas, cela veut-il dire pour autant que ce sont des charlatans ? Cela veut surtout dire que vous procédez à jugement de valeur sur leurs pratiques, comme on se croyait autorisé à le faire aux grandes heures de l’époque coloniale, sur ces gens de condition inférieure qu’étaient les esclaves ! Le jugement de valeur n’a pas sa place en science : si vous formulez un jugement de valeur, vous sortez du domaine de la science pour rentrer dans celui de l’opinion, avec vos goûts, vos préférences, ce que vous ne connaissez pas (et que vous trouvez bizarre), induisant peut-être à tort que ces gens que vous ne comprenez pas sont “irrationnels” ; mais si vous êtes zélés et avez l’Ego en conséquence, ça n’est évidement pas votre cas, parce que vous, c’est… Vous ! Vous avez le droit de vouloir la Science en toute chose, comme le droit ne pas le vouloir : la science a-t-elle des choses à nous dicter sur un plan normatif, sur nos valeurs ? Répondre oui à cette question, c’est nier purement et simplement toute la philosophie au profit du mécanisme… Si l’être ne se réduit pas à sa seule dimension matérielle et donc au mécanique, alors il n’y a aucune raison de vouloir la Science (matérielle) en toute chose. D’ailleurs la Science ne nous dit jamais quoi faire, elle nous dit ce qui est et comment cela fonctionne selon notre connaissance du moment, mais c’est à nous, in fine, de décider quoi faire : jamais la science ne nous ôte notre libre arbitre (elle nous permet même de le conquérir), au contraire de la propagande (qui sait d’emblée ce qui est mieux pour vous et pour les autres, parce qu’elle vous le dit). C’est la philosophie qui nous parle du bonheur, pas la science ; affirmer le contraire n’est qu’une croyance normative scientiste… et qui peut avantager tous les vendeurs de “pilules du bonheur”. La bonne nouvelle, c’est que Richard Monvoisin, cité précédemment, n’a pas l’air d’être dans cette vaine là et que ce qu’il promeut, c’est de “vous encourager à faire vos choix en connaissance de cause“, ce que l’on ne peut qu’applaudir et je vous recommande personnellement de l’écouter pour exercer votre esprit critique. Vous n’avez d’ailleurs pas besoin d’être d’accord avec tout ce qu’il dit et il est parfaitement ok là-dessus. Ce qui est la preuve que, en bon scientifique, le débat reste ouvert, pourvu qu’il y ait de vrais arguments. Les bons scientifiques ne sont pas dogmatiques, car ils connaissent bien le processus de recherche scientifique : on essaye des trucs, on se trompe, on s’entête, on abandonne, on rectifie, et on recommence… Ils savent aussi que devant un nouvel objet, selon le mot de Bachelard, c’est toute la science qui doit changer, bref que le réductionnisme ne peut être qu’une étape de la recherche scientifique, mais non sa finalité.
Le but des paragraphes précédents n’est donc certainement pas de diminuer la valeur de la Science, une activité sans conteste très importante pour l’humanité, mais de bien rappeler quelle est sa place logique, et tout ce qu’il y a d’autre dans nos vies, que la Science n’aborde pas, que la Science ne peut aborder. Le cours de zététique de Monvoisin débouche au final, ce qui est louable, sur de l’épistémologie : savoir dire quand c’est Vrai, quand c’est Faux… mais peut-être pas suffisamment quand on ne sait pas (quand la science de ce jour n’est pas logiquement capable de trancher) ! Une telle démarche réflexive ne permet pas de statuer dans les champs éthique et esthétiques où l’on jugera de ce qui est Bon, Juste, Beau, etc. C’est sans doute ces dimensions qui manquent le plus à la pratique en acte des “zététiciens autoproclamés”, aimant dénigrer, en se croyant fondé à le faire (idéologie scientiste), parce qu’ils se sentent investis d’un rôle de partisan prosélyte qui va rapidement faire d’eux de “bons” zélotes…
À propos des vrais zététiciens, mais surtout des autres, ces zélotes scientistes qui s’ignorent…
“Ce qui n’est pas prouvé par la Science est faux !”… C’est malheureusement ce sophisme radicalisant qui est lui-même complètement faux : si tel était le cas, certaines idées scientifiques qui ont mis des décennies, voire des siècles, à être acceptées scientifiquement auront donc été Fausses jusqu’à l’administration d’une preuve suffisante, puis Vraies après l’administration de cette dernière ; ceci est bien entendu complètement illogique et prouve surtout un défaut de rationalité, défaut qui normalement devrait échoir à aucun “vrai zététicien”, c’est-à-dire quelqu’un qui fait preuve d’un doute scientifique normal, sans excès idéologique, autrement dit tout esprit scientifique sérieux. Le problème n’est donc pas avec le projet d’étude rationnelle qui pourrait être lié à la zététique, mais avec ce qu’il peut engendrer socialement. Oui, si l’objet de la zététique est bien les croyances douteuses, il faut qu’elle prenne en compte sérieusement son impact social et qu’elle s’informe largement sur les sciences sociales (donc au-delà de la connaissance basique des seules expériences de Milgram)… Mais supposons que ce soit le cas. Le courant zététique, comme groupe social n’a pas, dans le projet lancé par son fondateur, l’ambition d’être neutre… il serait donc utile d’évaluer son impact réel, plutôt que de postuler a priori qu’il est nécessairement positif, ne serait-ce que pour la Science. Si on met la pression sur des recherches balbutiantes ou des idées en cours de formalisation, le risque est bien réel de stériliser la pensée novatrice, plutôt que de fertiliser la recherche : aucune d’entre elle ne pourra à court terme passer les tests des critères scientifiques ; mais certaines d’entre elles finiront par le faire, comme le montre l’histoire des sciences, comme la théorie de Wegener sur la dérive des continents impensable et improbable 48 ans avant son acceptation, au moment où la tectonique des plaques finit par devenir la norme. Le zététicien, par son action, a donc une responsabilité morale sur ces sujets, même quand il s’en défend en assénant “que cela ouvre la porte à bien des dérives”, justifiant du même coup et sans s’en rendre compte, toute l’argumentation de ce paragraphe. En revanche, quand les promoteurs du courant de pensée sceptique zététique mettent l’accent sur le remplacement de la raison par la sensation (remplacement du couple « symbole écrit + analyse étayée » par le couple « image visuelle + sensation immédiate »), ils sont socialement très utiles et contribuent à nous rendre plus responsables, surtout dans une société de médias de masse, multi-canal, où la propagande des divers type d’influenceur fait rage, afin d’orienter le comportement des individus et des groupes dans un sens arrangeant.
En effet, ce ne sont guère les “vrais zététiciens”, scientifiques sincères souffrant parfois d’un peu de scientisme, qui posent problème, mais les autres… les “pseudo-zététiciens”, qui s’auto-proclament tel, sans pourtant en adopter la logique, ni l’éthique de la discussion, ce que tout esprit scientifique sain se devrait de faire, normalement. Ce genre de personnes se trouve massivement sur les réseaux sociaux et sur Internet, puis par débordement, sur d’autres médias. Le doute de ces derniers n’est plus rationnel, mais un doute sceptique de principe dirigé vers certaines cibles plutôt que d’autres. Si ce doute ne s’applique pas à tout, mais seulement à une partie désignée du tout, c’est qu’il est bien ciblé et donc partiel (on ne doute pas de tout, on ne s’occupe que d’une partie seulement), mais donc partial. En rompant l’impartialité, les pseudo-zététiciens ne sont donc plus tenus par une obligation éthique d’objectivité et donne libre cours à leur subjectivité qu’ils font volontiers passer pour de l’objectivité, en se prenant pour des chevaliers blancs arrogants, à la manière dont se comporterait un enfant endossant les habits d’un super-héros… à l’innocence près, parce qu’ils n’ont pas le même âge, mais que l’idée adolescente est généralement d’en découdre.
Ceux qui ont un peu de culture philosophique, savent que le terme “zététique” a d’abord été popularisé en Grèce par Pyrrhon d’Élis (~-360 ; ~-270) et on le crédite souvent d’être le fondateur du scepticisme radical… Toutefois, “on suppose qu’il était devenu agnostique et s’abstenait de donner son opinion sur tout sujet. Il niait qu’une chose fût bonne ou mauvaise, vraie ou fausse en soi. Il doutait de l’existence de toute chose, disait que nos actions étaient dictées par les habitudes et les conventions et n’admettait pas qu’une chose soit, en elle-même, plutôt ceci que cela“. Tout ceci s’accorde bien mal avec le scepticisme radical… mais va plutôt de pair avec une forme de relativisme, où selon les propos de son disciple Timon, rapportés par Aristoclès : “nos sensations et nos jugements ne nous apprennent ni le vrai, ni le faux“, raison pour laquelle il faudrait “suspendre notre jugement” (épochè), autrement dit, arrêter de critiquer et de juger, ce qui mènerait au bonheur ; “par suite, nous ne devons nous fier ni aux sens ni à la raison, mais demeurer sans opinion, sans incliner ni d’un côté ni de l’autre, impassibles. Quelle que soit la chose dont il s’agisse, nous dirons qu’il faut l’affirmer et la nier à la fois, ou bien qu’il ne faut ni l’affirmer ni la nier“. La doctrine de Pyrrhon est donc loin du scepticisme adolescent si commun de nos jours, puisqu’il prone d’abord l’aphasie (“ne plus parler”, contre la logorrhée, notamment sur les réseaux sociaux et Internet, par des personnes courageusement anonymes et brutales, et qui ne se permettraient sans doute pas de se comporter comme elle le font si elles étaient en présence physique des autres et nommément identifiables), aphasie qui mène à l’ataraxie (“l’absence de trouble”, une forme d’équanimité, assez proche du Vide du Bouddhisme Zen, par exemple). Deux choses que l’on ne retrouve pas dans les comportements de ceux qui s’intitulent pourtant parfois “zététiciens”, mais qui pourraient s’en inspirer… même si Broch souhaite explicitement ne pas s’affilier avec Pyrrhon.
C’est à partir des élèves de ce dernier que se développera le fameux scepticisme radical, qui doute de tout, y compris du fait que l’on puisse connaître un jour quelque chose. Le problème de cette doctrine est qu’elle pousse au relativisme (un comble pour une démarche qui voudrait aider le scientifique sérieux)… et qu’elle est du coup une ressource rhétorique de choix pour “troller” à loisir, plaisir sophiste coupable. Autrement dit pour casser toute forme de discussion, empêchant du coup également une discussion authentiquement scientifique, notamment quand la recherche n’a pas encore pu conclure. Comme le disait le philosophe des sciences Paul Feyerabend : “l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence” ; ça n’est pas parce que quelque chose n’est pas prouvé à ce jour que cette chose est nécessairement fausse ; toutefois, bien stupide serait celui qui de la même phrase conclurait que cette chose serait probablement vraie : on n’en sait juste rien, son statut épistémique n’est toujours pas tranché. Mais s’il n’est pas tranché, cela signifie que les deux positions indues consistant soit à affirmer que cette chose est vraie, soit que cette chose est fausse… sont fausses, au sens où on ne peut rationnellement les étayer de façon conclusive à ce jour. Le problème du doute sceptique extrême, du doute hyperbolique dont Descartes recommandait de faire usage une fois (seulement) dans sa vie, est qu’il mène très vite au trolling intense, à une forme de terrorisme intellectuel, à ce que l’on qualifie désormais de façon lapidaire des haters… ceux qui déversent leurs émotions négatives en pagaille sur les réseaux sociaux, plutôt que de choisir avec parcimonie des arguments pertinents afin de contribuer au débat. Il est vrai qu’il n’est sans doute pas dans la nature des réseaux sociaux de nourrir un argumentaire authentiquement scientifique et que la tendance sera à la rhétorique partisane, si ce n’est la foire d’empoigne…
Le but de la démarche scientifique, à défaut de pouvoir tout de suite prouver que quelque chose est vrai, est comme le dit Richard Monvoisin, “d’éradiquer les arguments pourris” (donc une vraie hygiène de l’argumentation)… et Dieu sait qu’ils sont nombreux ces “arguments pourris”, dans les domaines, économiques, sociaux, politiques, religieux, spirituels, énergétiques, etc. L’image ci-dessous a pour objet de vous aider à ne pas attacher d’importance aux personnes qui critiquent, mais seulement à leurs arguments (quand elles en ont, ne serait-ce qu’un peu). Il ne faudrait cependant pas tomber dans l’excès consistant à affirmer le primat de “ma vérité”, sur celle des autres, car ça ne serait rien d’autre que de retomber dans un relativisme anti-scientifique, qui ne doute plus de lui-même, par excès de confiance là où la science, toujours selon la formulation de Monvoisin, essaye de développer une connaissance collaborative fiable et autocorrective. Ceci devrait être notre objectif, tant sur Internet que sur les Réseaux sociaux… et ça ne serait pas le moindre des apports d’une démarche authentiquement zététique, c’est-à-dire qui serait l’art de (re)chercher (la véritable étymologie du mot zététique), et non seulement un art de douter ou faire douter, quitte à déstabiliser pour un plaisir malsain. Souvenons-nous seulement que “Rome ne s’est pas faite en jour” et qu’exiger des critères d’urbanisme de grande ampleur quand on n’en est qu’à poser les pierres de fondation d’un village est proprement déraisonnable et une forme de terrorisme venant à piétiner de façon narquoise les premières poussent et à demander où sont donc ces grands arbres ? La Science véritable prend du temps, beaucoup de temps et tout scientifique sérieux sait que la connaissance scientifique ne cesse de bouger, sinon il n’y aurait pas de progrès. Un jour peut-être pourra-t-on parler des “sciences spirituelles” au même titre que les “sciences matérielles”, mais ce jour n’est pas du tout encore venu.