En voilà une question surprenante, n’est-ce pas ? Une question qui surprend tant par le thème de “l’élite” (et donc potentiellement de “l’élitisme”), que par son association avec une perspective “spirituelle” (et d’inquiétantes perspectives de gouroutisation, là où chacun doit exercer son propre libre arbitre, faire ses choix… et les assumer). Si, bien informé, notre lectrice ou lecteur faisait le rapprochement entre les questions d’ordre matériel (dont l’emblème et la matérialisation sont le Carré) et les questions d’évolution spirituelle (dont l’emblème et l’horizon sont le Cercle), notre interrogation première se retrouve donc directement au cœur du projet de notre Association Le Cercle et Le Carré ! La rencontre des dimensions horizontales (matérielles) et verticales (spirituelles) forment ainsi une Croix représentant des choix consistant à faire ce qu’il faut, plutôt qu’à dire ce qu’il faut faire. Des choix lourds de conséquences sur nos actions quotidiennes : à vous de voir si vous voulez y croire…
Avez-vous été élu ?
“Tu étais l’élu, c’était toi ! Tu devais rétablir la paix dans la Force pas la condamner à la nuit ! Tu étais comme mon frère. Je t’aimais Anakin.“
Obi-Wan à Anakin (Star Wars : Episode 3 – La Revanche Des Sith)
Qu’est-ce qu’une élite ?
Notons tout d’abord que, dans le langage courant, tout comme en sociologie, le terme est “chargé”, connoté par un grand nombre de choses que les gens et l’histoire ont attaché au terme, parfois jusqu’à lui faire complètement perdre sa signification d’origine. Faisons donc un petit retour vers l’Origine grâce à l’étymologie, fort simple, du mot “élite”.
Le mot “élite” provient tout naturellement du participe passé du verbe “élire”, lui-même issu du verbe latin eligĕre, que l’on présente généralement à la première personne du présent de l’indicatif, soit ēlĭgo. Quel est donc son sens premier ? Dérivé de legō (amasser en cueillant, ramasser/(re)cueillir, tirer vers soi, enlever en choisissant) associé au préfixe ex- (hors de), le sens d’ēlĭgo est celui de cueillir en arrachant, d’extraire, bref, de choisir/trier, et finalement d’élire.
Autrement dit, le sens premier du mot “élire” est actif (un mouvement) et exclusif (on choisit de prendre/ramasser/arracher celui-ci, plutôt que celui-là), ce qui implique l’existence de critères de choix permettant d’établir une hiérarchie du “sort” (qui étymologiquement veut dire partage, du vieux verbe sortir, qui donnera to sort en anglais), entre ce(ux) que l’on prend et ce(ux) que l’on ne prend pas. C’est bien entendu le principe des “choix électifs” (fondés sur des préférences ou des affinités particulières) et plus généralement des “élections” (où une fonction est décernée par voie de suffrages). Notons par ailleurs que le mot electo, peut être tout autant le fréquentatif d’ēlĭgo (choisir) que de eliciō (attirer, séduire, tromper)… Le bon choix étant celui qui respecte vos critères dans leurs conséquences, et non seulement dans les discours politiques.
Quand l’élite est d’abord troupe ou soldat… avec des camps
De l’idée de critères de choix, fondés sur les capacités (et non une “élite matérielle, trop bruyante et acclamée“, comme me le disait le Dr. Martin Bolle), vient l’expression de troupe ou de soldat “d’élite”, c’est-à-dire triés sur le volet militairement parlant, ce qui implique l’existence d’autres troupes ou soldats n’ayant pas été choisis pour ces “missions spéciales”, d’exception, mais pour des missions plus… ordinaires. Comme me l’écrivait à nouveau Martin : “pour l’aspect militaire, je précise que si les forces spéciales sont d’élite et ont un rôle stratégique, elles ne commandent pas. Elles sont surtout les plus à même à agir dans l’incertitude (voir “Décider dans l’incertitude” du général Desportes)“. Notre rapport à la hiérarchie et à sa légitimité est ainsi complexe : qui se glorifie de n’être qu’une personne ordinaire, parmi une masse de personnes ordinaires ? Ne voulons-nous pas tous, pour notre autosatisfaction et notre amour propre, penser que nous sommes loin d’être ordinaires, pour nous croire surtout uniques et spéciaux… là où notre comportement reste affreusement banal et commun l’essentiel du temps, là où rien de nos actes quotidiens ne vient faire réellement la différence ?
C’est de là que vient en général le désamour (voire pire) envers les élites, à cause de la stratification sociale induite (il y a une forme de hiérarchie, éventuellement officialisée sous forme de caste), alors que dans cette acception les troupes d’élites sont aussi et surtout… les plus compétentes et donc les mieux à même de protéger les civils et militaires plus ordinaires. Les troupes d’élites prennent d’ailleurs souvent plus de risques, les missions sont plus difficiles ou sensibles, mais si vous montrez votre efficacité réelle sur le terrain et que vous passez les épreuves de (s)élection, tout le monde peut alors (en théorie) en faire partie. Pour faire partie de l’élite, il faut faire partie des meilleurs, le principe est simple ; c’était d’ailleurs, initialement, le principe de l’aristocratie : les meilleurs gouvernent ! Mais meilleurs en quoi ?
Il serait facile de rappeler les grands débats en sociologie entre la dénonciation de l’élite “parvenue socialement” et qui “tire à soi” les ressources et le fonctionnement social pour conserver de façon indue sa place, à l’aide de titres qu’aucun haut fait ne vient étayer (théorie de la reproduction sociale, à la Bourdieu), et la mise en évidence d’un principe méritocratique (pointant l’égalité des chances, à la Boudon) et laissant entendre que, si on y met du sien et que l’on travaille, tout le monde peut s’en “sortir”. On voit très vite comment le débat sur les meilleurs, que l’on critique comme usurpateurs ou que l’on encense comme héros, est devenu politique : aucune des deux théories n’est complètement juste, ni complètement fausse ; il s’agit d’une perspective polaire basique opposant, au fond de façon très classique, les bons et les méchants et exigeant de choisir un camp.
Le problème survient quand on demande d’expliciter les critères de choix, les critères d’élection, parce qu’ils révèlent nos Valeurs, ce en quoi l’on croit… et, si l’on y croit vraiment, si cela a réellement une grande valeur pour nous, et qui est ce pourquoi on est prêt à être mis en croix (à défaut de mettre une croix dans une case et de cocher parmi une liste de choix déjà prédéfinie). Choisir, c’est se trouver à la croisée des chemins et décider de prendre telle route plutôt que telle autre, puisque l’on ne peut matériellement pas suivre les deux simultanément si elles divergent : la vie est faite de choix et choisir, c’est renoncer ! Porter sa croix, c’est porter le fardeau de nos attachements, qui nous font souffrir. Mais sommes-nous réellement prêt à aller plus loin, à en tirer les leçons spirituelles pour continuer à avancer ? Sommes-nous réellement capable de lâcher prise sur les mondanités pour régler notre conduite sur le Divin ?
Saurez-vous renoncer ?
« L’aristocratie a trois âges successifs : l’âge des supériorités, l’âge des privilèges et l’âge des vanités. Sortie du premier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier »
Chateaubriand (1803-1846), Mémoires d’outre-tombe
Ce que n’est pas une élite
À l’origine, l’élite n’est pas le gratin (ce qui se trouve au-dessus), mais les plus beaux fruits (qu’il faut savoir aller chercher et cueillir dans les buissons) : la crème de la crème, la quintessence, obtenue par le travail (orat et laborat) et la maturation de ses propres capacités et donc pas un statut social qui s’accapare et se transmet… sauf à savoir transmettre toutes les capacités spéciales qui vont avec (ce n’est pas avec des capacités réelles de plombier que l’on peut s’improviser ébéniste, joaillier, dentiste, chercheur ou d’une tout autre spécialité).
Récolteriez-vous sur l’arbre des fruits pourris pour les manger immédiatement ? Appelleriez-vous cela l’élite ? Non, évidement… Ce n’est pas parce que l’on nomme élite quelque chose ou quelqu’un que cela en est réellement. Ce sont les fruits que cette chose ou cette personne produit qui permet de juger si elle fait partie de l’élite… selon vos critères, qui ne sont ni nécessairement économiques, sociaux ou politiques. L’élite ne correspond donc ni à ceux qui ont le contrôle des ressources économiques ou intellectuelles (la fortune et la culture), ni à ceux qui ont du pouvoir ou du prestige, ni aux vedettes, ni aux gens estampillés de certains diplômes ou d’autres signes sociaux. Une perspective spirituelle ne s’intéresse guère à ces questions horizontales sans légitimité particulière, sans toutefois avoir grand chose à y redire, si ce n’est dans leurs abus, qui représente des freins (voire des blocages) dans l’évolution spirituelle.
Comment comprendre l’expression “élite spirituelle” ?
Si par orgueil et Ego, tout le monde aimerait faire partie de l’élite, pour se sentir à bon compte supérieur (sans toutefois avoir fournis et les efforts réels et les résultats qui doivent aller avec), il n’est alors question que d’usurpation sociale, que d’un jeu de rôle où l’on se donne des airs, mais où l’on ne fait pas le travail réel… sur soi, à la manière des enfants qui jouent aux adultes, au Roi, à la Princesse, etc.. Le critère de “l’élite spirituelle” commence alors à devenir plus clair.
Un premier écueil à la mode est celui de “l’ultracrépidarianisme“, et, non, ça n’est pas une nouvelle secte dangereuse, parce que ce courant spontané n’est guère nouveau. Son nom est un magnifique néologisme latinisant, mais d’origine anglaise et repris par les médias français (et faisant très “savant”, si ce n’est clinquant) à partir du milieu des années 2010, apparemment. La petite vidéo du Philosophe des Sciences Étienne Klein ci-dessous vous permettra de vous en faire en moins de 4 min une idée sur ce dont il s’agit et pourquoi malgré un aveu d’incompétence on peut s’autoriser à émettre des opinions fortes. En bon français, on pourrait aussi parler de cuistrerie, une attitude fréquemment relevée dans les activités humaine ; le cuistre (originellement un marmiton) étant le valet à tout faire (factotum), sans compétence particulière, mais qui n’en voulait pas moins avoir de la superbe (pédantisme, affectation et arrogance, associées à une étroitesse d’esprit et à une prétention à briller), quoiqu’il manque… de savoir-vivre : le Trissotin de Molière en est l’exemple typique.
Quelles que soient vos convictions politiques, l’important du point de vue spirituel est ce Goût de la Vérité, qui caractérise les activités de tout chercheur sincère… et donc de celles et ceux en réelle recherche spirituelle. Un premier pas est d’essayer de ne plus être victime du biais cognitif qu’est l’effet de surconfiance qui tend à tuer les débats intellectuels et la recherche sincère pour la remplacer par une chape de plomb dogmatique et arrogante, guère propice à l’évolution et à l’amélioration de chacun. Bien entendu, ce principe s’applique à à peu près tous les sujets de discussion possibles…
Vers l’extrême centre de la Vérité Intérieure : l’Amour… inconditionnel !
Faire partie de l’élite spirituelle est donc un choix possible pour toutes et tous… et qui ne dépend réellement que de vous : celui de devenir meilleur, ce qui passe par le renoncement non contraint et librement choisi aux différentes formes de matérialisme (sans que cela soit une condamnation de la matière, support de notre incarnation) et d’Ego (l’identité socio-culturellement construite depuis notre plus jeune âge et utile socialement). Bien sûr, il ne s’agit pas de se contenter d’adhérer à ou de professer un tel discours, mais de le traduire en actes au quotidien, ce qui ne se fait ni sans effort, ni sans discipline : il faut vider notre Centre du trop plein qui nous empêche de communiquer avec le Ciel, que notre Cœur soit rempli d’Amour plutôt que d’émotions négatives, que nous soyons capables de partager cet Amour avec toutes et tous. Notre Univers est Un, une seule et même Famille spirituelle.
C’est alors que l’on parvient au Centre, à l’extrême Centre, qui est le commencement de toute chose, et que les taoïstes nomment Wújí (無極/无极) et les chrétiens nomment la Jérusalem Céleste : un Monde de Paix par l’Amour inconditionnel. Quand l’être humain parvient par sa pratique à cultiver son Cœur et son Esprit, cette Vérité Intérieure s’affirme comme une évidence : c’est au centre du Cœur que l’on peut trouver le sens du chemin de Croix et ainsi harmoniser le Cercle et le Carré, et, ce faisant se rapprocher du Divin dans toutes ses formes, qui est nulle part et partout. C’est par cette relation personnelle avec le Divin que l’on cultive de jour en jour que vous en avez fait l’élu de votre Cœur, que vous êtes constamment en train de devenir meilleur, plus aimant et lumineux, bref, que vous faites partie de “l’élite spirituelle”, comme potentiellement tout être humain, s’il le désire.
Dès lors, j’ai plein de bonnes nouvelles à vous annoncer : vous n’aurez pas de statut social dont vous pourrez jouir (mais ça ne vous manqueras pas), vous n’aurez pas d’opinion au-delà de ce que vous êtes capable de prouver (mais ça ne vous dérangera pas), vous n’aurez plus d’états d’âme lié à votre Ego (et ça vous fera beaucoup de bien), la fortune ne vous manquera point (et les clins d’œil célestes ne se feront pas attendre). Des gens seront mesquins et/ou ingrats avec vous (et ça ne vous touchera pas plus que ça parce que vous cheminez), des gens chercheront à vous utiliser (et vous en ferez une formidable opportunité de servir le Ciel et votre Prochain), des gens seront sourds/muets/aveugles à ce que vous dites et essayez de faire passer (et ce sera bien ainsi).
L’élite spirituelle a toujours eu un réel souci de l’Autre (souvent bien plus que d’elle-même), elle est humble et se fait même souvent humilier (non qu’elle le veuille, mais parce que les autres ont trop peur de comprendre tout ce que le chemin spirituel implique réellement), elle est joyeuse et heureuse dans le Service (parce qu’aider les autres dans leurs chemin et aider à propager un Amour sincère pour tous fait du bien et aide à panser nos blessures et celles des autres, à prendre une direction meilleure). Et cet Amour se partage, avec tous… même quand les autres nous énervent au plus haut point, nous donnant ainsi la merveilleuse opportunité de pouvoir continuer notre travail sur nous. À vous de voir si vous souhaitez répondre à l’Appel… et être élu(e), spirituellement. Cela peut commencer par une approche religieuse (plus proche des hommes), mais aussi par une approche de type mysticisme (plus proche du Divin).
“Un élu, c’est un homme que le doigt de Dieu coince contre un mur.“
Jean-Paul Sartre