Tout le monde demande à ce que chacun “fasse des efforts”… mais pourquoi, et surtout quand, où et comment ? Quel est le sens de faire des efforts : seulement un peu de moyens engagés symboliquement ou beaucoup de résultats concrets ? Pour bien commencer la saison 2023/2024, voici une petite réflexion générale, concernant une large variété de cas et de personnalités. À vous de voir quelle(s) leçon(s) vous accepterez ou refuserez d’en tirer… et donc quelles conséquences il vous faudra assumer pour votre développement personnel et votre évolution spirituelle !
Faites-vous réellement des (sous-)efforts ?
Tout un chacun serait tenté de répondre machinalement et automatiquement (donc sans conscience…) que oui, bien évidemment ! Parce que Moi, je fais forcément des efforts et que j’ai du mérite de le faire, notamment… parce que je pourrais très bien ne pas faire d’effort ; alors, quand j’en fait un ou deux, il est normal que tout le monde le sache et le remarque, parce que je suis quelqu’un de bien… pourvu en Ego ! Vous pensez réellement qu’il s’agit de cela quand on pose la question de savoir si VOUS faîtes réellement des efforts ? “Oui, mais les autres ne font pas vraiment d’effort pour moi, alors…“. Cela permet-il de justifier votre inaction, de justifier le fait que vous ne cherchez nullement à montrer la Voie par l’exemple ? Très souvent, nos efforts réels ne sont que des “sous-efforts”, un lever de petit doigt négligent là où nous aurions pu commencer à tracer un véritable sillon.
Pourquoi, au fond, faire des efforts ? Tout d’abord pour vous-mêmes, parce que c’est la condition de votre développement personnel, qu’il ne vaut mieux pas laisser à l’abandon, sans quoi vous risquez de vous retrouver avec, pour ainsi dire, quelques mauvais herbes dans votre jardin… intérieur. Préférez-vous vous en remettre à la chance ou au hasard, là où, justement, vous aviez une réelle opportunité de changer les choses en levant un peu plus que le petit doigt ? Faire des efforts permet tout simplement d’améliorer les choses, là où ne pas faire d’effort sera peut-être reposant à court terme mais créera le plus souvent à long terme des complications qui n’en valaient pas le coup : la paresse ne mène jamais loin, si ce n’est en dévalant la pente du plus grand confort… On risque alors de tomber bien bas, sauf si on fait quelques efforts, avant, bien avant.
Faire des efforts, c’est ensuite pour les autres : pour ne pas leur infliger vos propres défauts (parce qu’ils n’y sont généralement pour rien), pour les aider intelligemment avec leurs propres défauts et problèmes… même quand ça n’est pas le moment, quand vous n’avez pas le temps ou l’envie, dans tous ces moments où l’on se dit : “mais ils pourraient quand même faire un effort, non ?“. Si vous venez dire qu’ils le pouvaient, pourquoi pas vous ? Faire des efforts, c’est aussi être au service, rendre service et produire souvent quelque chose de bien mieux et de plus grand, ensemble, que si… personne n’avait justement fait d’effort ! Un réel effort, ça nous coûte, mais c’est a minima un investissement dans l’avenir individuel et collectif et, plus noble, une contribution gratuite et discrète, permettant de rendre les choses plus justes, harmonieuses et, en fait, meilleures. Bien sûr, avec la maturité, on ne demande plus aux autres de reconnaître nos efforts, comme un écolier demandant des bons points : on fait des efforts simplement parce que c’est la meilleure chose à faire pour avancer individuellement et collectivement. Au fond, c’est l’enfant ou l’adolescent qui refuse le plus souvent de faire réellement des efforts, ceux qui coûtent mais qui nous transforment ainsi que la situation, et, quand l’enfant fait ces efforts, c’est justement ce qui lui permet de passer à l’âge adulte.
Faire réellement des efforts suppose donc de savoir comment faire des efforts de façon efficace, jusqu’à ce qu’ils portent leur fruit : la transformation en mieux… car il ne s’agit pas seulement de “cracher dans le désert“. De ce point de vue, on peut dire qu’il y a deux mauvaises façons de faire des efforts : déficience et excès. La première est évidente (“ne pas faire beaucoup d’effort“) et nous l’avons déjà abordée ci-dessus, la seconde est moins facilement perceptible au premier abord, mais non moins dommageable : faire trop d’effort(s) ! Comment cela est-il possible ? En voici deux exemples : pousser toujours plus fort (excès de yáng), ne jamais nager contre le courant (excès de yīn).
Dans ce premier cas, on ne s’adapte pas en changeant d’action, mais en accentuant une action précédente qui n’a pas marché, sur le mode de la rigidification et de la crispation, ce que les psychologues de Palo Alto appellent le “plus de la même chose” (excès de yáng), un autre nom poli pour parler d’une névrose. L’obstination de la mouche à essayer de passer seulement à travers la vitre de la porte-fenêtre devrait être un enseignement pour tous : le chemin visiblement le plus direct, peut en réalité être irrémédiablement bloqué… sauf si quelqu’un nous ouvre la porte (ou la fenêtre… ou les deux) ! Ce qui est réellement bloqué dans ce cas, c’est la tête, qui n’est pas capable de s’adapter en explorant d’autres voies que celles qui se sont révélées des impasses et qui cherche à pousser sur le mur, au fond, pour qu’il bouge miraculeusement tout seul. Cet excès de yáng est en réalité une façon de ne pas vraiment faire des efforts, mais simplement de faire semblant de faire des efforts. Les causes sont souvent plus émotionnelles qu’intellectuelles, les perturbations du cœur et de l’Ego venant limiter l’accès à d’autres solutions ou à la possibilité d’invention de nouvelles solutions (ex. : dépression, colère, rancœur, obsessions, etc.). A contrario, ne jamais nager contre le courant, c’est se laisser porter, mais c’est surtout se laisser dériver (excès de yīn), il s’agit souvent moins d’un excès de paresse, que d’un manque de confiance en soi qui consiste à ne faire aucun choix soi-même, par peur de la responsabilité qui s’ensuit… mais ne pas choisir, c’est encore choisir : c’est choisir de ne rien faire, ce qui a des conséquences !
Au fond, la question est donc celle du seuil d’effort efficace à dépasser. En effet, l’important c’est le résultat produit : continuer à pousser plus, pour que la digue cède enfin et arrêter de pousser après… tout comme ne pas pousser où cela ne peut pas du tout faire céder la digue. Bref, s’efforcer vraiment (pas d’excès de yīn), sans forcer excessivement (pas d’excès de yáng), parce que l’on agit efficacement, c’est-à-dire intelligemment, donc en s’adaptant en permanence au contexte… ce qu’aucun de ces “sous-efforts” (malgré leur apparence d’excès) ne permet !
L’effort comme “sur-effort” : sur le chemin de la Maîtrise de Soi
Faire réellement des efforts, suppose non seulement de doser l’effort (ni trop, ni trop peu, sans quoi ce n’est pas un effort véritable, mais une forme d’évitement ou de fuite), mais aussi de le faire dans le bon contexte (au bon endroit et au bon moment), afin de produire des effets de transformation positifs, bien que ces efforts nous coûtent et qu’il faille surmonter ce coût physique, émotionnel et psychologique. C’est ce seuil (coûteux mais utile) d’effort qui permettra de “faire la différence” et donc d’avancer ; on peut appeler ce moment opportun de détermination utile un “sur-effort”, au sens où il nous pousse à nous dépasser, car ça n’est que là qu’il y a réellement croissance et développement. Il ne s’agit alors pas de faire des efforts pour rester dans la course, parce que notre Ego a été aiguillonné par les “succès” (relatifs) d’autres et que par esprit de compétition, on va enfin “se donner à fond”… ce qui suppose donc bien que, auparavant, on n’avait pas réellement fait d’efforts !
Le sur-effort, c’est de faire quelque chose de coûteux, non pas par Ego ou orgueil, mais, au contraire, parce que c’est juste et bon… et donc sans en attendre la moindre louange (vous semblerait-il souhaitable qu’après chaque utilisation de votre voiture on vous félicite pour n’avoir écrasé aucun piéton et ne pas avoir causé d’accident… quand c’est le cas ?). Telle était l’une des leçons reçues par Yáng Jwing-Ming de son Maître de Grue Blanche, quand il s’était plaint à celui-ci que les autres ne s’entraînaient pas assez et ne réfléchissaient pas assez : “creuse petit Yáng, tu te retourneras après avoir fini ton sillon“… et quand tu te retourneras, il n’y aura probablement plus grand monde derrière-toi !
C’est ainsi que par le véritable “sur-effort” répété (celui qui est réellement utile, sans tomber dans les excès précédemment évoqués), par la discipline bien employée, que le disciple chemine vers la Maîtrise. Toutefois, il est plus efficace de bénéficier de l’expérience de nos aînés dans la pratique ou dans la sagesse, de bénéficier de la présence d’un Maître, et c’est la raison pour laquelle les “sur-efforts” sont souvent proposés pour leurs propriétés transformatives (si ce n’est parfois imposés sous formes de tests de maturité) par le Maître, qui voudrait aider son Disciple à évoluer plus vite, à condition qu’il ait la discipline qui consiste à écouter ce que le Maître dit, à prendre des notes, à faire certaines pratiques, etc., qui sont moins “des lubies de vieux” et des “coutumes vieillottes”, que des attitudes positives d’apprentissage permettant de réellement faire sien ce que le Maître propose… plutôt que de le voir passer comme un train qui s’éloigne, car il est plus facile de perdre un Maître que de le trouver.
Le Maître est en effet “maître de lui” et “maître de ses connaissances et capacités”. Pourquoi voudrait-il les partager avec nous alors qu’elles lui ont coûté des années de sa vie et des sacrifices sur le plan personnel (familial, loisir, repos…) et professionnel (“vacances” qui n’en sont pas pour apprendre, longs, coûteux et fatigants voyages pour explorer et parfaire sa maîtrise, etc.). Ce n’est pas simplement parce qu’il n’est pas égoïste qu’il les partagera, c’est parce qu’il sait les efforts qu’il faut faire pour les acquérir, même s’il devrait être capable de raccourcir ce temps d’acquisition sur le long terme, compte tenu de son expérience : êtes-vous réellement prêt à faire TOUS les efforts nécessaires ? Ou bien prenez-vous cela un peu à la légère en choisissant de ne faire qu’une (petite) partie de ce que l’on vous demande, celle sur laquelle vous avez le plus de facilités ? Quelle superbe preuve d’Ego…
En ce cas, le Maître ne fera que perdre son temps avec nous à cause de notre manque de courage et de notre paresse (ces mots peuvent piquer l’Ego, espérons qu’ils seront un aiguillon pour se remettre dans le droit chemin, plutôt que pour ronchonner encore plus, se plaindre, critiquer ou pire, se braquer) : en adaptant légèrement un proverbe japonais, on pourrait dire que l’on ne peut remplir (efficacement) la boîte dont le couvercle est (à moitié) fermé, comme l’est le Cœur de celui qui n’a pas de Discipline, ne s’entraîne pas tout seul et de lui-même sans qu’on lui demande… La discipline de base, c’est bien entendu de continuellement apprendre, mais pas que. Si le Maître ne sait pas tout, il dispose toutefois de connaissances et de méthodes qui ont fait leurs preuves, quand elles sont traditionnelles.
Faut-il alors fouetter le Disciple ? Certains le demandent, soit expressément (ce qui est rare, mais parce qu’ils sont conscients de leur inconstance : ils demandent ainsi une attention forte de la part du Maître, dont ils espèrent qu’il va sacrifier une énorme part de son temps, juste pour eux), soit de fait (parfois la paresse veut simplement dire “occupe-toi de moi, j’ai besoin d’attention“, ce qui peut passer de temps à autre parce que l’on est humain, mais qui est une véritable plaie à la longue : on n’est pas censé rester immature et infantile dans son comportement).
Traditionnellement, le Maître laisse ces profils de côté, puisque en l’état, irresponsables, il n’y a rien à en tirer, même si le Maître prend souvent sur lui par Amour, ce qui n’est toutefois pas un dû. Heureusement, les choses peuvent changer… sauf si l’Ego bloque la maturation. Travailler sur son propre Ego est le cheminement spirituel par excellence, ce qui nous permet de nous libérer réellement de nos attachements de façon inconditionnelle. Il est vrai que la transmission n’a jamais été la même avec un statut de simple élève et avec un statut de Disciple qui implique une attention soutenue de la part du Maître, alors que l’élève peut simplement être lâché dans la nature, en dehors des périodes d’enseignement.
Le véritable travail du Disciple est un travail sur lui-même qui consiste à découvrir qui il est et où il veut aller, grâce à la discipline du Maître. S’il ne regarde que son nombril, il n’ira guère loin. Notamment dans la Tradition Chinoise (mais également dans la Tradition occidentale), le Maître donne des informations, des exercices et des pratiques aux élèves… et voit s’ils en font quelque chose, et ce qu’ils en font. S’ils n’en font rien, voire s’ils les rejettent, cela veut dire qu’ils ne leurs accordent aucune valeur réelle : en ce cas, pourquoi donner et perdre du temps à donner ? La Transmission s’arrête alors, au moins pour le moment… La parabole chrétienne (Matthieu, 7.6) dit bien qu’il ne faut “pas jeter ses perles aux pourceaux” en parlant de ceux qui n’ont pas soif (et “on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif“), une version moderne d’un de mes Maîtres disait : “si c’est ‘gratuit’, il ne faut pas donner” (gratuit indiquant ici l’absence de valeur attribuée, et le dévoiement de la valeur résultant).
Il est tellement facile de casser l’envie de donner et ainsi de perdre la possibilité de recevoir, par notre comportement négligé et indifférent. Trois ans un Maître tu chercheras, trois ans il te testera… mais du jour au lendemain il te chassera, si ton désir n’est pas sincère : c’est là où les actes comptent plus que les mots. Mais il n’est sans doute encore pas plus grand châtiment que ce que le même Maître m’exprimait : “qu’est-ce qui est le plus plus coûteux pour cette personne ? Simplement que je me taise…” ; combien n’ont jamais réalisé que, pour eux, il s’était définitivement tu, comme ce fut le cas pour moi, jusqu’à ce que je cherche à réellement comprendre pourquoi, à réellement comprendre la leçon, suffisamment importante aux yeux du Maître pour qu’il en arrive à une telle sanction : avoir transgressé sans même s’en rendre compte (mais sans trop s’en soucier non plus) certaines limites fixées par le Maître.
Ces limites peuvent être de différentes natures : éthiques et morales (valeurs et cultures), pratiques (temps, argent, lieux, partenariat, etc.) ; c’est le Maître qui les fixe, parce qu’il est aussi Maître de son temps, et tout un chacun peut les refuser à sa guise, ce qui revient à refuser les conditions de sa transmission. À vous de voir. Mais ça n’est pas parce que quelqu’un impose certaines conditions que c’est un Maître pour autant : usuellement les conditions sont surtout morales. Voici ci-dessous celles transmises par Maître Yáng :
- Moralité/vertu des actes (德行, dé xíng ; cultiver sa relation aux autres, servir et devenir juste) :
- Humilité (謙虛, qiānxū)
- Respect (尊敬, zūnjìng)
- Droiture (正義, zhèngyì)
- Fiabilité (信用, xìnyòng)
- Loyauté (忠誠, zhōngchéng) => les plus importants pour que le Maître enseigne !
- Moralité/vertu de l’esprit (品德, pǐn dé ; se cultiver soi-même, apprendre et devenir sage) :
- Volonté/Détermination (意志, yìzhì)
- Endurance/Patience (忍耐, rěnnài)
- Persévérance/Volonté (毅力, yìlì)
- Persévérance/Constance (恆心, héngxīn)
- Courage (勇敢, yǒnggǎn) => les plus importants pour que le Disciple chemine avec Sagesse
Combien d’entre nous ont un jour manqué d’Humilité, de Respect, de Droiture, de Fiabilité ou de Loyauté, par Orgueil, par Ego, par Facilité, par Paresse, par manque de Courage ? Combien d’entre nous n’ont pas su faire preuve de Volonté, d’Endurance, de Persévérance, de Constance et de Courage, par Indolence, par Immaturité, par manque de Désir sincère, par Velléité, et par Faiblesse d’Âme ?
Est-ce vraiment si dur de s’écarter de ces tendances si quelque chose nous tient réellement à Cœur ? Alors, juste pour aujourd’hui, je commence par faire un petit effort, parce que je sais qu’une marche de mille lieux commence par le premier pas. À charge pour moi de faire le deuxième pas demain, le troisième le sur-lendemain et ainsi de suite… si je souhaite réellement cheminer. En arrêtant de me poser en victime (” c’est pas juste, c’est la faute à pas de chance, des autres, etc.“), j’ai une chance de pouvoir ordonner le hasard, d’orienter ma trajectoire et d’écrire (une bonne partie de) mon destin. Alors, juste pour aujourd’hui… je fais un petit (sur-)effort ?